
Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi« (Lc 17,5)
La liturgie de ce dimanche nous offre la parole du prophète Habacuc, un personnage peu connu, mais qui a élevé la voix à un moment de grande instabilité et de grande corruption du peuple d’Israël… aux alentours de l’an six-cent avant Jésus-Christ.
Comme nous l’avons entendu dans la première lecture, le prophète lui-même décrit avec désarroi ce qu’il perçoit à l’horizon social et qui l’affecte profondément : « Violence… misére… Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. », dit le prophète.
Cette description est faite dans le contexte d’une plainte adressée à Dieu, car il sent que face à cet amas de mal, Dieu reste impassible, silencieux. Oui, le prophète Habacuc est quelqu’un qui voit la réalité sociale, s’interroge face à elle et interpelle Dieu, au lieu de se rebeller contre lui en temps de crise.
J’imagine que tous ceux qui sont ici ont déjà vécu intérieurement cette tension entre croire en Dieu et voir tant de souffrance et d’injustice, que ce soit dans notre propre vie ou dans les événements quotidiens du monde.
Mais la réponse de Dieu à cette lamentation et cette interpellation du prophète Habacuc ne tarde pas. Dieu l’invite à persévérer, en lui rappelant que « le juste vivra par sa fidélité ». Cette phrase, nous devons l’inscrire dans notre cœur : « le juste vivra par sa fidélité ». Dans le Nouveau Testament, saint Paul traduit cette phrase par : « le juste vivra par la foi ». Et c’est que la foi est la clé pour accueillir, comprendre et répondre à ces situations qui nous semblent complètement tordues dans la réalité.
Le prophète Habacuc nous enseigne des choses très importantes pour notre vie aujourd’hui en tant que chrétiens, parce qu’être chrétien ne se réduit pas seulement à la pratique liturgique dominicale de la messe ou à une revendication identitaire face à un monde qui semble menaçant. La foi chrétienne nous exige d’être impliqués dans les événements de l’histoire, tout comme Dieu s’est impliqué directement en devenant homme et en habitant parmi nous en Jésus-Christ.
Je crois que nous avons tous été témoins, ces deux dernières années, de la violence extrême vécue dans la bande de Gaza depuis l’attaque horrible du groupe terroriste Hamas contre Israël, causant plus de mille morts et prenant plus de deux-cents otages, dont beaucoup sont encore en captivité… Et nous avons vu aussi la réponse, avec une violence extrême, du gouvernement israélien à cette provocation, causant plus de soixante milles morts en Palestine…
Et malheureusement, nous vivons ces faits à travers les médias, des écrans qui nous permettent de changer de chaîne, de passer à une autre vidéo, sans générer en nous la moindre compassion. Moi-même, je suis le premier à me réprimander quand je me surprends à me lamenter plus de la défaite du PSG dans un match de football que des attaques en Ukraine, des conflits ethniques en Afrique ou des violations de la démocratie au Nicaragua ou au Myanmar.
Dans quelle mesure ces faits nous affectent-ils ? Sommes-nous compatissants et élevons-nous nos prières en interpellant Dieu comme le prophète Habacuc ? Chères sœurs et chers frères, tout ce qui se passe autour de nous, nous pouvons le présenter au Seigneur, qui ne se fâche pas parce que nous lui exprimons nos révoltes intérieures. Au contraire, Il est toujours disposé à nous illuminer pour faire de notre présence chrétienne un phare au milieu des ténèbres qui couvrent le monde.
Comment développer, alors, cette attention chrétienne à la réalité et cette compassion qui nous permet de contribuer à un changement social qui manifeste l’arrivée du Royaume de Dieu ? La clé nous est donnée par la demande que les apôtres adressent à Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui : « Seigneur, augmente en nous la foi ! »
Les apôtres se rendaient compte que leur foi était trop petite pour répondre aux défis auxquels Jésus les appelait, ils savaient que la mission était grande et que leurs forces étaient faibles… mais ils savaient aussi, comme le dit le psaume d’aujourd’hui, que « le Seigneur est mon rocher, mon salut ». Ainsi, ils s’adressent à Jésus, qui est la source de toute grâce et de toute force dans nos vies, et n’hésitent pas à lui confier la responsabilité : Seigneur, augmente notre foi !
Cela devrait être notre première prière chaque jour : Seigneur, augmente notre foi ! Seigneur, augmente notre foi ! Seigneur, augmente notre foi ! Cette prière nous donne une immense liberté, car elle remet à Dieu la première responsabilité de faire grandir en nous la foi à laquelle Il nous appelle… une foi qui est réponse à son invitation à aimer jusqu’au bout. Nous sommes appelés à une mission dans laquelle nous ne sommes que de simples serviteurs, et notre premier devoir est surtout d’accueillir cette grâce que Dieu veut nous donner.
Le Seigneur nous associe à sa mission d’amour et de rédemption dans le monde d’aujourd’hui — pas celui d’hier, ni celui d’il y a deux mille sept cents ans au temps du prophète Habacuc. Non ! Aujourd’hui, en tant que baptisés, nous sommes appelés à être compatissants et miséricordieux, comme premier signe contre-culturel de ceux qui luttent pour la paix, une paix désarmée et désarmante, comme nous l’enseigne le pape Léon.
C’est vrai. Vous pourriez me dire : « Mais, mon père, que puis-je faire pour résoudre le conflit en Palestine ? » Et je vous répondrais : « La première chose que vous pouvez faire, c’est d’interpeller Dieu, en priant profondément… » Mais notre mission en tant qu’artisans de paix se vit dans nos contextes immédiats : en famille, au travail, dans le quartier, sur les réseaux sociaux. Si dans ces environnements nous sommes capables d’arrêter la culture de la polarisation, de la haine, de l’égocentrisme, nous contribuons déjà énormément à la paix. Bien souvent, ce sera très difficile, car nous sommes constamment provoqués à agir avec orgueil et arrogance… et alors, comme les apôtres, élevons notre cri vers le Ciel et disons : Seigneur, augmente notre foi ! Je suis sûr que l’aide de Dieu ne tardera pas à arriver. (Père Felipe HERRERA)