Il Salvatorello

par Henry Dubrulle,

Docteur ès lettres

  Située dans la via del Salvatorello, près de l’église nationale de Saint-Louis des Français, l’église Saint-Sauveur in Thermis, plus connue sous le nom de II Salvatorello est appelée à disparaître. Nous avons cru être agréable aux amis des souvenirs français à Rome en donnant sur cet édifice quelques notions historiques.
  Établie dans une des salles des thermes d’Alexandre Sévère l’église Saint-Sauveur remonterait, d’après certains au pape Saint Sylvestre. Armellini qui s’élève contre cette opinion, n’en donne pas pourtant une réfutation concluante. Il trouve qu’il est inadmissible que les thermes aient été transformés en église alors qu’ils étaient encore très fréquentée et que Constantin était obligé d’en faire construire de nouveaux (1). Une salle pouvait très bien être distraite de cet usage sans pour cela empêcher l’accès de l’édifice. Quoi qu’il en soit, si nous en croyons la tradition et une inscription très ancienne, l’autel principal aurait été consacré au Ve siècle par Saint Grégoire le Grand. Ce qui est absolument hors de doute, c’est que la puissante abbaye de Farfa possédait cet oratoire au Xème siècle. Nous en trouvons mention en 998. A cette époque, les prêtres de l’église Saint-Eustache revendiquaient contre l’abbaye la possession des églises Sainte-Marie et Saint-Benoît. Dans les actes du procès soutenu dans la basilique Saint-Pierre devant le Pape Grégoire V et l’emperenr Otton, Saint- Sauveur est ainsi désigné :

« Duas ecclesias sanctae Marie et sa ncti Benedicti quae sunt aedificatae in Thermis Alexandrinis, cum casis, criptis, hortis, terris cultis et incultis, arcis, columnis et oratorio Salvatoris intra se ».
On le voit, ce n’était qu’une humble dépendance des deux églises citées et de fait dans la confirmation des biens de l’abbaye, Otton ne le mentionne pas. Nous le voyons de nouveau cité dans la donation que Stéphanie, fille de la célèbre Marozie fait à l’abbaye en 1011 :
« Verum etiam de alio oratorio quod est in honore Salvatoris Domini Nostri Jhesu Christi posito Romae regione nona in Scorticlari iuxta Thermis Alexandrinis » .

  Enfin un document de 1017 le donne comme situé près de l’église Saint-Benoît. Mentionné encore en 1051 et 1056 (1), il semble avoir ensuite perdu toute importance. Ni la bulle d’Urbain III qui cite les églises de Rome en 1186. ni le catalogue de Cencio Camerino en 1102 ne l’indiquent. Si le catalogue de l’anonyme parisien le mentionne en 1270, celui de l’anonyme de Turin en 1350 ne le signale que comme hôpital, en le faisant suivre de la mention « non habet servitorem » (2).Plusieurs ont cru pouvoir confondre cette église avec celle de San Salvatore de Gallia que mentionne la bulle d’Urbain III. Les récents travaux de M. Spezzi dans le Bullettino della Commissione archeologica comunale di Roma (3) ont démontré péremptoirement que cette identification était impossible. Elle s’est sans doute produite à la suite de l’acquisition de l’église des thermes par la confrérie des Français établis à Rome. Cette acquisition eut lieu en 1477 lorsque l’abbaye de Farfa céda les églises de Sainte-Marie in Cellis, Saint-Benoît, Saint-André, Saint-Sauveur et l’hôpital Saint-Jacques des Lombards avec leurs dépendances.
  A cette époque l’oratoire semble avoir eu des biens propres car il est cédé « cum omnibus rebus mobilibus et immobilibus ». Un petit hôpital dit de Saint-Jacques aux Lombards y était annexé et ses armes s’y voient encore ; un écusson chargé de trois gerbes d’or posées deux et un. Déjà à l’époque de l’échange il était en bien mauvais état, car l’acte de prise de possession le désigne : « hospitale ruinosum ». Il semble avoir perdu bientôt son nom car lorsque Sixte IV confirma les statuts de Jacques Bignet concernant l’hospice de Saint-Louis il l’indique sous le titre « domum hospitale S. Jacobi Lombardorum olim nuncupatum » (1).
  Sous ses nouveaux propriétaires, l’église du Sauveur, plus heureuse que celles de Sainte-Marie in Cellis, de Saint- Benoît et de Saint-André, cédées avec elle, garda son individualité et ne disparut pas lors de la construction de l’église actuelle de Saint-Louis. Si nous nous en rapportons à Fonseca, (2) elle devint même paroisse et ne perdit son privilège que sous Urbain VIII. Enclavée dans les constructions du palais Madame elle se maintint intacte à travers les vicissitudes que traversa cette maison. De nombreuses donations que mentionnent les archives des pieux établissements français à Rome lui furent faites. Dés 1482, Richard cardinal do Constances y fondait quatre messes mensuelles (1). En 1509, Jean Vicomte, prêtre du diocèse de Chartres, demandait a y être enseveli dans la chapelle de Saint-Jacques le majeur qu’il avait fondée, où il avait déjà fait élever son tombeau et y établissait une messe hebdomadaire. En 1517, c’était Benoît Troulet du diocèse de Lyon qui fondait une autre chapellenie à gauche de l’autel principal. En 1523, Gilles de la Hamaide laisse l’argent nécessaire pour célébrer 8 messes mensuelles (2) et. un obit anniversaire. A ce moment l’église était administrée par un chapelain qui logeait dans une dépendance.
  Elle eut aussi ses jours .le gloire et Saint Philippe de Neri, Saint Joseph Calasanz la visitèrent souvent, ce fut même en se rendant dans cette chapelle que le dernier reçut le coup qui devait le conduire au tombeau (3).
  Au XIXe siècle, elle ne fut pas abandonnée. Le règlement approuvé en 1815 par le cardinal Orioli porte qu’une messe doit y être célébrée tous les jours. Chaque jour aussi, à l’Ave Maria, les litanies de la Sainte Vierge suivies de la bénédiction du très saint Sacrement y étaient chantées, et les vendredis se faisait l’exercice du chemin de la croix. Le mois de Marie y était prêché soit par l’un des chapelains de Saint-Louis, soit par un prédicateur italien dont les honoraires étaient prélevés sur le produit des offrandes des fidèles, seule ressource de l’église (4).
  A la fin du XIXe siècle, grâce à la tendre piété de M. Crevoulin sous-supérieur de Saint Louis des Français, dom Audrea, comme l’appelait familièrement le peuple, il Salvatorello devint le centre d’une florissante confrérie, celle de N. D, de la Salette qui devait compter plus de six mille associés. Chaque soir, on aimait à venir assister à la funzione qu’il accomplissait. Il prit à sa charge les dépenses des fouilles qui lui firent retrouver le coffre précieux rempli de reliques que le pape Saint Grégoire avait mis dans l’autel lorsqu’il le consacra (1), ainsi que l’attestation de sa consécration. La relation de cette découverte si importante fut déposée aux archives du secrétariat du cardinal vicaire et un triduum fut célébré eu cette occasion dans l’église du Sauveur (2). L’inscription suivante était placée dans l’église :

« Sanctus Gregorius Papa et doctor ecclesiae hanc ecclesiam in honorem S. Salvatoris consecravit ac omnibus vere paenitentibus et confessis illam devote visitantibus, singulis diebus septem annorum et totidem quadragenarum singulis, vero diebus quadragesima plenariam indulgentiam concessit. Deinde Silvester, Gregoriun et Nicolaus romani pontifices peregrinins hanc ecclesiam devote visitantibus etiam indulgentiam plenariam concesserunt. Postremo vero tam prafati quam alii romani pontifices, eam visitantibus tempore quadragesimae duorum millium ducentorum sexaginta annorum, singulis autem totius anni diebus, mille centum et triginta annorum iudulgentiam (ad perpetuam rei memoriam) (3), Sub majori altari, Sanctus Gregorius infrascriptas reliquias propriis manibus in consecratione huius ecclesiae posuit videlicet : de tribus lignis S. Crucis, de velo B. M. V., de reliquiis apostolorum Petri et Pauli, Andreae, Jacobi, Bartholomei, Philippi et Joannis Baptistae, sanctorum Grisogoni, Cosma et Damiani, sanctorum Anastasiae, Balbinae, Felicitatis et Filiculae ac plurimorum sanctorum et sanctarum ».

  Les reliques ainsi retrouvées furent enfermées sous un nouvel autel dans le coffre de plomb et l’église fut complètement restaurée.
Mais ce renouveau de vie devait être de courte durée. A la suite des attentats anarchistes de 1893 le ministère Crispi demanda et obtint la fermeture de la chapelle dont les fenêtres pourtant très élevées donnaient sur la cour du sénat. Un contrat signé en juillet 1905 céda enfin complètement l’immeuble qui fera désormais partie du palais du Sénat. Ainsi disparait l’une des plus vieilles églises de Rome.
Si vénérable par son antiquité, l’église du Sauveur a gardé quelques souvenirs de son glorieux passé.
Près de la porte où se trouve l’image du Sauveur se trouve une inscription relatant les indulgences accordées à l’église :

Indulgenze concesse in perpetuo

Da Sommi Pontefici
in questa chiesa
In tutti i giorni dell’anno vi sono
Mille cento tcent’anni d’indulgen.
Per tutta la quaresima vi E
Indulgenza plenaria
Per li pellegrini vi è ogni giorno
Indulgenza plenaria

A l’entrée se trouvent deux sarcophages anciens transformés depuis des siècles en bénitiers. Celui de gauche que l’on peut dater du IIe siècle semble avoir appartenu à un enfant chrétien et porte l’inscription suivante :

D. M.
TIMOTEO CANTABRI
QUI VIXS1T ANNIS
DUOBUS MENS. DUOBUS DIEB.
XV ARRIUS SEVERUS ARIA
FELICISSIMA PAREM
TES DULCISSIMO FII.IO FECERUNT.

  Au dessus de la porte d’entrée se trouve un buste que la tradition donne comme étant celui de César Borgia le fils d’Alexandre VI. Il est certain que l’œuvre se rapproche beaucoup du portrait en profil que Paul Jove a donné en tête du volume : Vie des hommes illustres et qu’a reproduit M. Yriarte dans son volume César Borgia (1).
  A l’intérieur de l’église, la même tradition donnait le nom de la Vannoza à une représentation de la Vierge. En l’absence de tout portrait de la maîtresse d’Alexandre VI, il est difficile de pouvoir se prononcer. On peut cependant se demander comment ces deux célèbres personnages ont leur portrait dans l’église alors que les archives ne mentionnent aucune libéralité de leur part. Je serai assez porté à croire, au moins pour le portrait de la Vannoza, que l’on a été trompé par une similitude de nom. En 1598 une Vannoza, femme d’Antoine Ferrarii, habitant le quartier Colonna, fait de grandes aumônes par testament à l’église Saint-Louis (1), peut-être est-ce la figure de cette femme que nous avons ici.
  Au dessus de l’autel se trouvait une image très vénérée du Sauveur dont la tête a malheureusement été remplacée.
  Sur la paroi de gauche occupant presque toute la hauteur du mur se trouve le monument funéraire de Gilles de la Hamaide représentant le Sauveur entre la mère et son fils d’une part, Saint Gilles avec une levrette d’autre part. Au premier plan, Cilles en orant est présenté par son patron. Dans le haut deux auges tenant des banderoles. Le tout est d’une très bonne facture (2).
  Dans le bas côté se trouve enfin la plaque de Réginald Campi, L’homme est représenté la tête reposant sur un coussin et ayant entre les mains le bâton, symbole de sa charge. L’inscription est la suivante :

Reginaldo Campi, clerico Nivernensi
S. D. N. Papae cursorum
vite, moribus et fidelitate
preclaro
qui obiit Rome au. Salutis MCCCCLX
diz XXVII novembr.
vixit an. LXIII, men. VI. die VI.

  Enfin sur une plaque placée près du banc de communion face à l’autel : Angelus Figarella, cyrneus, sacerdos capellanus ecclesiae S. Ludovici Francorum, annos duo super quadraginta natus, Romae obiit, die martii XXVI, anni domini MLCCCLVIII, in festo VII dolorum B. M. V. in Christi crucifixi osculo et. amore, precibus sacris quae in hac sanctissimi Salvatoris ecclesia, quavis labente die, peraguntur praeses, per quatordecim interfuit annos, orate pro eo.

  Heureusement ces reliques artistiques et religieuses ne disparaîtront pas. Par les soins de Monseigneur d’Armailhacq, les monuments ou inscriptions iront rejoindre ceux des divers établissements français déjà disparus et qui font du cortile du palais de Saint-Louis un musée de souvenirs français à Rome.

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Notes (numérotées en continu et non, comme le fait l’original, en reprenant la numérotation à chaque page)

(1) Armellini, Le chiese di Roma (Rome, 1891) p. 998.

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