Homélie – Solennité de Saint Louis
(Rome, Dimanche 8 octobre 2017)
Frères et sœurs,
« Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Cette parole du Seigneur Jésus nous rejoint ce matin comme une promesse et une responsabilité pour chacun de nous, baptisés dans le Christ, et pour l’Église en ce monde. Elle met en lumière notre vocation commune à la sainteté et l’appel que le Seigneur nous adresse, aujourd’hui comme hier, à être « sel de la terre et lumière du monde » (Mt 5, 13-14) pour la plus grande gloire de Dieu et pour le salut du monde.
Et pourtant, nous sommes souvent portés à penser que la sainteté n’est pas pour nous et qu’il y a, d’une certaine manière, ceux qui sont nés pour être saints et le commun des mortels dont nous faisons partie. Une telle conception nous autorise à nous satisfaire d’une forme de médiocrité et de tiédeur, en répétant d’ailleurs, comme pour nous donner bonne conscience, que nous ne sommes pas des saints ! Une telle approche de la sainteté tient sans doute au fait que nous l’identifions à une perfection morale. Ainsi, face au constat de notre imperfection, de notre péché, nous réduisons la sainteté à un simple idéal qui reste pour nous hors de portée.
Aussi, lorsque Jésus nous exhorte à « ne pas riposter au méchant », à « aimer nos ennemis » (Cf. Mt 5), nous sommes comme découragés. Car, nous avons conscience que nos seules forces ne nous permettront jamais d’aller jusqu’au bout d’une logique opposée à la spirale de la violence. Celle-ci semble, en effet, dominer le monde et nous inciter souvent à vouloir rendre coup pour coup, voire même à dépasser le précepte « œil pour œil, dent pour dent », afin d’imposer notre loi par la force. N’est-ce pas là une forme de paganisme subtilement ancrée dans nos cœurs ?
Et pourtant, comme disciples du Seigneur Jésus, nous ne pouvons pas ignorer sa parole dans ce qu’elle a d’exigeant pour chacun de nous. Et, aujourd’hui, le Seigneur nous appelle à la conversion du cœur pour que nous puissions naître et renaître à la force de son amour miséricordieux. Car, c’est l’amour dont le Père a comblé tout homme dans le Christ et par l’Esprit qui atteste de l’éminente dignité de chaque être humain.
Ainsi, frères et sœurs, la véritable sainteté est toujours un don du Dieu trois fois Saint qui attend d’être accueilli dans un cœur ouvert, humble et confiant pour porter du fruit en abondance. Certes, cet appel à la perfection demande que nous nous engagions à mener le bon combat pour que notre vie et chacun de nos actes soient ajustés au don de l’amour de Dieu. Mais si nous voulons mener ce combat sans prendre le risque de nous exposer à la tentation du découragement et du désespoir, alors il nous faut entendre ce que le Seigneur dit à l’Apôtre Paul : « ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Co 12, 9). En effet, c’est toujours la grâce de Dieu qui donne à des êtres fragiles de grandir en sainteté pour témoigner ainsi de la force libératrice de l’amour de Dieu. Et c’est la grâce de Dieu qui peut renouveler l’humanité dans le Christ par le don de l’Esprit Saint.
Autrement dit, frères et sœurs, nous ne pouvons vraiment avancer sur le chemin de la sainteté qu’à la mesure de notre ouverture intérieure à l’œuvre de la grâce. Dans cette perspective, l’écoute et la méditation quotidienne de la parole de Dieu, la fidélité aux Sacrements et en particulier la participation à l’Eucharistie, mais aussi l’attention aux autres et le service du prochain nous sont proposés comme les moyens concrets de notre sanctification.
C’est encore et toujours de l’œuvre de la grâce dont témoigne la vie de Saint Louis, Roi de France, pour lequel, aujourd’hui, nous rendons grâce à Dieu dans cette église à lui consacrée. En reconnaissant la sainteté de Louis IX, l’Eglise n’a pas cherché à canoniser un régime politique. Elle a voulu donner à tous les disciples du Christ l’exemple d’un homme qui, dans l’exercice de ses hautes responsabilités, a cherché à vivre uni à Jésus jusque dans sa passion et sa mort. Et, ce faisant, l’Eglise nous rappelle que la sainteté illumine toutes les activités humaines et favorise le déploiement de ce que nous portons de meilleur au service du bien commun et de l’avènement d’une véritable civilisation de l’amour. De ce point de vue, la vie de Saint Louis met en lumière la politique tant dénigrée, non seulement comme une vocation très noble, mais aussi comme un chemin de sainteté, une des formes les plus précieuses de la charité, parce que justement elle cherche le bien commun. Elle atteste aussi que l’ouverture à la transcendance contribue à faire naître une nouvelle mentalité politique et économique, soucieuse notamment du bien social des plus fragiles (Cf. Evangelii gaudium, n. 205).
Dans le contexte où Saint Louis a vécu, il a su régner avec sagesse : c’est là le fruit de sa prière, à l’exemple de celle du Roi Salomon. Une vie de prière et de contemplation qui l’a conduit à demander l’art d’être attentif, juste, bienveillant, soucieux des petits et des pauvres, défenseur des faibles et des opprimés. Et force est de constater qu’il a contribué au développement, à l’unification et à la prospérité de la France dont il a été le Souverain pendant quarante-quatre ans ! Certes, il a commis des erreurs. Il a connu aussi des échecs. Il a dû affronter la captivité et la maladie. Mais de telles réalités soulignent que le creuset de la sainteté reste cette humanité marquée par la fragilité et le péché. C’est cette humanité blessée et éprouvée que le Seigneur Jésus est venu guérir et sauver pour que l’amour de Dieu puisse régner sur tout et en tout. Pour cette raison, Saint Louis a nourri une dévotion particulière au Christ souffrant, au Christ de la Passion et de la Croix, au point de faire construire pour l’insigne relique de la couronne d’épines ce merveilleux reliquaire qu’est la Sainte-Chapelle.
Permettez-moi d’évoquer ici le lien particulier qui existe entre ma ville natale de Vicence et Saint Louis IX. Le saint roi a en effet donné une épine de la sainte couronne au bienheureux Bartholomée de Breganze, Évêque de Vicence et Nonce Apostolique en France, lequel, afin de la conserver, a fait construire la Basilique de la Sainte Couronne, une des églises les plus connues de ma ville.
Saint Louis avait conscience que tout ce que Jésus avait souffert par amour pour nous était la seule voie de libération du péché et l’unique source de salut. Ainsi, se tenant au pied de la Croix du Seigneur, Saint Louis a ouvert son cœur au don sans mesure de l’amour de Dieu, en se laissant conduire par l’Esprit Saint. Voilà pourquoi, l’Eglise a reconnu l’œuvre de sainteté accomplie dans la vie de Louis IX. Et elle nous l’a proposé comme un modèle, pour qu’à sa prière nous puissions avancer sur le chemin de la perfection.
Frères et sœurs, dans la célébration de l’Eucharistie, par l’intercession de Saint Louis, des saints et des saintes qui ont si profondément marqué l’histoire de la France, demandons au Seigneur cette grâce de la patience et de la persévérance sur le chemin de la sainteté. Invoquons l’Esprit Saint pour qu’il nous conduise chaque jour, afin de devenir les saints dont le monde, aujourd’hui, a besoin. Et comme le Saint-Père l’écrit dans son Exhortation apostolique, Evangelii gaudium, « apprenons à nous reposer dans la tendresse des bras du Père, au cœur de notre dévouement créatif et généreux. Avançons, engageons-nous à fond, mais laissons [l’Esprit Saint] rendre nos efforts féconds comme bon lui semble» (n. 279). Amen.