1er Novembre 2021, église Saint-Louis-des-Français. Homélie donnée par le cardinal Semeraro, prefet de la congrégation pour la cause des saints.

«Pourquoi célébrons-nous cette fête?» C’est une question que nous pourrions nous poser, à la manière des enfants hébreux qui interrogent les adultes au début du repas pascal. La réponse qui nous vient de la traduction liturgique nous rappelle l’intention de l’Église d’invoquer et de célébrer non seulement ceux qui par elle ont été régulièrement canonisés ou béatifiés, mais aussi, et dans une même fête, tous ceux qui jouissent de la vision béatifique de Dieu. Et voilà la «foule immense» évoquée dans la première lecture du livre de l’Apocalypse; voilà aussi le thème de la vocation universelle à la sainteté que le Concile Vatican II a mis au cœur de la constitution dogmatique Lumen Gentium – Je cite : «Chacun doit avancer inlassablement, selon ses propres dons et fonctions, par la voie d’une foi vivante qui stimule l’espérance et agit par la charité» (n°41).

Cet appel est pour tous, parce que tous, nous sommes aimés de Dieu : «Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes!» L’exclamation de l’apôtre Jean rapportée dans la seconde lecture est une parole qui ouvre l’espérance. L’agir de Jésus que nous décrit l’Évangile, nous fait connaître en effet l’amour de Dieu. Saint Bernard de Clairvaux reconnaissait dans cette scène le signe de la miséricorde divine : Jésus regarde la foule car il connait les besoins et la fatigue des personnes, et il s’assied justement pour se rendre proche d’eux : «Celui que les anges même ne peuvent rejoindre, disait-il, s’assît pour que les publicains et les pécheurs puissent s’approcher de lui; pour que Marie-Madeleine puisse l’aborder de même que le larron en Croix» (Sermo I. De lectione evangelica, «Videns Iesus turbas», 6; PL 183, 455).

La miséricorde et l’amour de Dieu qui se dévoilent dans l’attitude de Jésus, sont également manifestés dans ses paroles. Il voit des pauvres, des hommes et des femmes qui sont oppressés, qui pleurent, qui ont faim et soif de justice, qui sont persécutés…; mais il ne se laisse pas hypnotiser par leur souffrance, il ne s’étend pas dans des descriptions et ne l’explique pas non plus avec des analyses de type socio-psychologiques. Jésus, dans ces situations douloureuses, ouvre plutôt des possibilités de chemins neufs et applique le baume de l’espérance. Pour cette raison, j’ai toujours trouvé suggestive la version des béatitudes qu’André Chouraqui a proposé en français. En marche… Comment traduire cela qui, plus qu’un commandement, est une véritable injection de courage? J’aime le faire avec ces paroles du prophète Isaïe : «Dites aux gens qui s’affolent : «Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu […]. Il vient lui-même et va vous sauver» (35, 3-4). Le verbe au futur qui scande chaque béatitude est vraiment l’indication d’un Dieu qui vient sauver. C’est le futur de Dieu qui s’ouvre sur notre présent et qui nous attire amoureusement à lui.

Dans l’exhortation apostolique Gaudete et exsultate sur l’appel à la sainteté dans le monde contemporain, le Pape François a commenté les Béatitudes et les a présentées comme «la carte d’identité du chrétien» et «le visage du Maître que nous sommes appelés à faire transparaître dans le quotidien de notre vie» (n. 63). La sainteté est le fait d’être conformés au Christ a redit le Pape : «La sainteté, la plénitude de la vie chrétienne ne consiste pas à accomplir des entreprises extraordinaires, mais à s’unir au Christ, à vivre ses mystères, à faire nôtres ses attitudes, ses pensées, ses comportements. La mesure de la sainteté est donnée par la stature que le Christ atteint en nous, par la mesure dans laquelle, avec la force de l’Esprit Saint, nous modelons toute notre vie sur la sienne» (Audience du 13 avril 2011).

Un moine du Moyen-Âge, parlant de la sainteté, commence en reprenant le verset du livre de la Genèse : « Dieu dit : “Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour illuminer la terre” (1, 14-15) » et il le commente ainsi : « le firmament, c’est le Christ, et ses étoiles, ce sont tous les saints. Ceux-ci, en effet, qui durant leur vie terrestre se sont enracinés en lui, maintenant, jouissent de le voir lui, d’une vision béatifique. Comme les astres du ciel, les saints reflètent de diverses manières la splendeur du soleil. Il y a avant tout la Vierge Marie, l’«étoile de la mer», et ensuite, tous les autres saints qui brillent de multiples manières : rouge est la lumière des apôtres et des martyrs par la flamme de la charité, la lumière des vierges se remarque par sa beauté, tandis que celle des confesseurs se signale par sa clarté. Les saints, en somme, sont comme les diverses constellations du ciel: ils nous aident, nous qui sommes pèlerins encore sur cette terre, à avancer dans le chemin, toujours orientés vers le Christ. Et nous serons comme les mages (cf. Mt 2,10) au moment de voir Jésus, «l’étoile du matin»: nous éprouverons une grande joie ». (cf. Absalon di Springiersbach, Sermo XLVIII. In festo omnium sanctorum: PL 211, 270-272)

La sainteté, nous dit aussi cette image, n’est pas uniforme et monotone. Bien au contraire, chacun avec ses dons, sa langue, son cœur, ses joies et ses larmes, est appelé à être devant le trône et à chanter : «Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau!» L’appel universel à la sainteté ne rend pas superflues les voies plus ténues et cachées. La merveille de la sainteté, c’est justement d’être en soi-même petit et faible, mais grand et fort lorsque l’on plonge dans l’immensité de Dieu, qui donne la force.

Lui regarde l’humilité de ses serviteurs et veut fait pour chacun de nous ce qu’il a fait pour l’humble femme de Nazareth, pour Marie, la sainte mère de son Fils. Il le fera avec la force qui féconde et qui affermit de l’Esprit Saint lui-même. Dans le grand chœur des saints, celui qui est petit sur l’échiquier du monde comme des structures ecclésiastiques est précieux pour la perfection du nombre des cent quarante-quatre mille marqués du sang de l’Agneau. Amen.

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