Homélie donnée en l’église Saint-Louis-des-Français, Rome, le 21 novembre 2021, par S. Em. le Cardinal Marc Ouellet, Préfet de la Congrégation pour les Évêques
LE CHRIST ROI DE L’UNIVERS
« À lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen »
Chers frères et sœurs,
La réforme liturgique du Concile Œcuménique Vatican II nous invite à conclure l’Année liturgique avec la fête du Christ Roi de l’Univers. Cette fête promue par le Pape Pie XI permet de reconnaître non seulement la divinité du Christ, mais aussi sa domination, gloire et royauté, annoncée par le prophète Daniel et confirmée par le Voyant de l’Apocalypse : Jésus-Christ est le témoin fidèle, le premier-né d’entre les morts, le souverain des rois de la terre ».
Les textes splendides de ce dimanche proclament son identité messianique : ce Fils d’homme, voici qu’il vient parmi les nuées, et tous les hommes le verront, même ceux qui l’ont transpercé. Et l’Apocalypse complète la révélation avec la solennelle déclaration : Je suis l’Alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, je suis celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.
Ces grandes visions prophétiques nous convient à la contemplation du Christ en gloire et pourraient nous induire à penser que le Règne du Christ n’a rien à voir avec ce monde, mais le dialogue de Jésus avec Pilate au début de la passion nous ramène sur les planches de l’histoire et donc à notre propre relation avec le Roi des rois. Alors tu es roi ? s’exclame Pilate devant Jésus qui vient de déclarer : Ma royauté ne vient pas de ce monde. Et Jésus ajoute : Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix.
Chers frères et sœurs, que signifie pour notre vie cette royauté du Christ ? Quelle part avons-nous à la vérité dont il témoigne ? Comment nous laisser toucher aujourd’hui par sa Parole de vie et de vérité ? L’Écriture atteste que le Christ Roi nous a délivrés de nos péchés par son sang, Il a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Voilà notre premier hommage au Christ Roi de l’Univers : l’adoration, une attitude sacerdotale des baptisés qui reconnaît la vérité du Christ mais qui est devenue trop rare de nos jours. Le pape François nous y exhortait en soupirant à l’ouverture du processus synodal le 9 octobre dernier : « Comme la prière d’adoration nous manque aujourd’hui ! Beaucoup ont perdu non seulement l’habitude, mais aussi la notion de ce que signifie adorer. » Cette fête ne nous invite-t-elle pas à un sursaut d’adoration au nom même de la vérité dont témoigne le Seigneur crucifié ? Sa royauté d’amour ne vient pas de ce monde, mais elle doit se manifester en ce monde par nous qui sommes participants de sa filiation divine par notre baptême. Comment cela peut-il s’incarner en nous si ce n’est d’abord par l’adoration qui exprime notre identité sacerdotale de baptisés ?
Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. L’affirmation sonne étrange à nos oreilles habituées au relativisme et à certaine culture post-vérité ! On pourrait comprendre son témoignage comme une vertu particulière d’un honnête homme qui donne sa parole et ne manque jamais à ses promesses, qui dit toujours le vrai, qui brille par son intégrité morale et la cohérence de sa vie. Cela serait déjà énorme mais nous serions encore loin du sens profond de sa déclaration. Car Celui qui définit ainsi son identité et sa mission est le même qui a dit : Je suis la Vérité, le même qui se présente comme le Témoin fidèle du Père, le même qui certifie qu’il sera confirmé par l’Esprit de Vérité. Bref, pour le Christ, rendre témoignage à la vérité signifie révéler et confesser l’Amour trinitaire. Sursum corda ! [« élevons notre cœur! », NDLR]
Au moment d’achever le discours de la Cène et d’entrer dans sa douloureuse passion, Jésus dit à ses apôtres : Levons-nous, partons d’ici, il faut que le monde sache que j’aime le Père. Il obéit alors à ce Père qui a tant aimé le monde qu’il a livré son fils unique pour que le monde soit sauvé par lui. Et les deux sont tellement d’accord pour donner ce témoignage d’Amour que l’Esprit de Vérité, c’est-à-dire l’Esprit d’Amour, confirme tout en ressuscitant le Christ d’entre les morts comme le sceau ultime de ce glorieux témoignage trinitaire. Rendre témoignage à la vérité contient toute cette profondeur, cette hauteur, cette longueur et cette largeur de l’Amour trinitaire manifesté dans le Christ. Cet amour peut contenir la création de l’univers, la rédemption des péchés et la glorification de l’humanité tout entière avec son environnement naturel et cosmique. Il nous est confié par l’Esprit de l’annoncer à toutes les nations pour semer l’espérance de la vie éternelle et entraîner l’humanité dans une responsabilité solidaire pour la maison commune et la fraternité universelle.
Chers amis, embrassons toutes ces dimensions de l’Amour trinitaire qui rayonne de la royauté du Christ dans notre prière d’adoration, de louange, d’action de grâce et d’intercession. Levons les yeux vers Celui qui s’est laissé transpercer par amour pour que de notre cœur uni au Sien jaillisse des flots de vie éternelle que nous devons répandre avec lui dans le monde. Laissons-nous toucher par la majesté de Dieu dans son abaissement et offrons-nous à son pardon et à sa grâce pour que notre vie révèle davantage qui nous sommes dans le Christ Roi : les prêtres de Dieu son Père et les héritiers de sa royauté d’amour.
Ô Jésus, Roi d’Amour, vivant et régnant en Marie, vivez et régnez en nous ! Amen.
+Marc Cardinal Ouellet
