
Dimanche dernier, nous avons célébré la fête de la Toussaint, et ainsi l’Église commence le mois de novembre en nous rappelant notre fin dernière, le but pour lequel nous sommes créés, à savoir, l’union avec Dieu dans le ciel comme membres de l’Épouse du Christ, de la glorieuse église des saints et des saintes. Et si nous commençons ce mois en réfléchissant sur la gloire du ciel, nous allons le poursuivre en réfléchissant sur l’étape intermédiaire entre nous-mêmes maintenant et le bonheur du ciel : la mort.
Oui, une homélie sur la mort…. Bon dimanche matin ! … Vous pourriez bien m’interroger – Mon père, qu’est-ce que vous dites ? Ne savez-vous pas qu’il ne faut surtout pas parler de la mort ?
C’est ça qu’on apprend de notre culture, n’est-ce pas ? Le tabou de la mort. Dans un monde matérialiste et sécularisé, on ne parle plus de la mort, et si on doit admettre son existence, c’est juste pour que nous puissions combattre de toute notre force contre cette fin terrible et effrayante, qui, nous dit-on, ne serait que le néant.
On le voit d’une manière spectaculaire dans notre réponse à la pandémie. Dans son livre récent sur ce sujet-là, l’Archevêque de Paris, Monseigneur Aupetit écrit:
Les événements que nous venons de vivre avec cette pandémie mondiale nous ont fait prendre conscience d’une réalité que nous avions occultée : la mort… La réponse que nous avons eue a été de nous protéger de la mort par tous les moyens. En réalité, nous nous sommes protégés de la vie. La vie est un risque, mais un risque magnifique. Le fameux principe de précaution désormais inscrit dans la constitution revient, au fond, à refuser de vivre vraiment pour ne pas risquer de mourir.
Bien entendu, Monseigneur Aupetit n’est pas du tout contre une prudence sanitaire, mais il nous appelle à réfléchir sur la mort, à accepter notre condition mortelle, et à laisser cette réflexion influencer notre manière de vivre. La mort fait partie intégrante du parcours chrétien précisément parce qu’elle est le passage de la vie mortelle d’ici-bas à la vie éternelle promise par le Seigneur. Le grain de blé doit mourir avant de porter beaucoup de fruit.
Si la mort signifie notre passage de ce monde imparfait et si souvent insatisfaisant, à une vie éternelle d’union parfaite avec Dieu, et si nous comprenions vraiment combien Dieu nous aime, alors n’aurions-nous pas hâte d’y arriver ? Ne dirions-nous pas avec Saint Paul, « j’ai le désir de m’en aller et d’être avec Christ, ce qui de beaucoup est le meilleur ; mais à cause de vous [les Philippiens] il est plus nécessaire que je demeure dans la chair ici-bas. » (Phil 1 :23-4)
Cette attitude positive vis-à-vis de la mort se trouve aussi dans l’Évangile d’aujourd’hui : la parabole des dix vierges qui attendent l’arrivée de l’Époux est une métaphore de la mort conçue comme rencontre avec Dieu. On pourrait bien voir dans les cinq filles prévoyantes celles qui ont accepté et préparé leur mort, et évidemment elles seraient pour nous le modèle à imiter. Mais il y a un autre aspect important : qu’est-ce qu’elles attendent ? Elles attendent l’arrivée de l’Époux. La mort est ici présentée comme une réunion d’amoureux, une chose désirée et bien attendue, assez loin du redoutable tabou du XXIe siècle.
Avec les jeunes filles de la parabole, pouvons-nous aussi nous préparer et même attendre amoureusement notre mort ? Pouvons-nous dire avec le psalmiste : Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair.
C’est une grâce à demander : Seigneur, donne-moi un désir plus fort pour le ciel ! Aide-moi à comprendre que mon vrai trésor n’est pas sur la terre mais la communion éternelle avec toi et tous les saints.
Ce regard positif sur la mort ne nous empêche point de nous engager pleinement dans la vie. Justement, nous sommes encouragés à saisir le poids de nos jours limités et à vivre chaque jour dans la conscience et la reconnaissance qu’il est un don. Cette vie précieuse sur la terre nous donne le temps de préparer notre vie au ciel. Nos choix quotidiens pour le bien plutôt que le mal, notre amour pour les autres, et notre relation mystique avec Dieu– tout ça avec tout ce qui est vraiment bon dans notre vie est conservé et élevé dans la vie éternelle. Nous ne perdrons pas ceux et celles que nous avons aimés ; en fait la communion des saints est plus profonde que notre amour sur la terre.
Si nous avons encore une peur de la mort, il est possible que nous ayons peur du jugement parce que nos consciences nous accusent, et dans ce cas la solution se trouve dans le sacrement de réconciliation avec la miséricorde du Seigneur. Mais on peut avoir aussi une certaine peur liée au mystère de la mort, à l’inconnu, et cette peur-ci est une invitation à faire confiance au Seigneur, à lui montrer notre amour en disant, « Seigneur, entre tes mains je remets mon esprit. »
Cette préparation et attente amoureuse de la mort est vécue toute particulièrement dans l’Eucharistie. Ici, rassemblé autour de l’autel où par la mort du Christ la vie éternelle nous est donnée, nous commençons déjà à vivre la communion du ciel. Lorsque nous recevons le pain de la vie, demandons au Seigneur la grâce de vivre chaque jour avec reconnaissance, chaque jour qu’il nous donne pour avancer un peu plus vers notre patrie avec lui et tous les saints.