
Dimanche in albis, Dimanche de la Miséricorde. 11 avril 2021, église Saint-Louis-des-Français.
Chers frères et sœurs en Christ,
Comme nous le savons tous de par notre expérience collective après Vatican II, retoucher la liturgie peut constituer une entreprise périlleuse. La première intuition que le Peuple de Dieu a sans doute pu saisir des temps qui allaient advenir après le Concile,peut sans doute remonter au moment où le Pape Jean XXIII établît dans le Canon de la messe, que Saint Joseph devait être invoqué avec la Bienheureuse Vierge Marie, de manière perpétuelle. Dans la mesure où Saint Joseph était déjà patron de l’Eglise universelle, cela tombait sous le sens ; et l’on pouvait même se demander pourquoi ses prédécesseurs n’en avaient pas eux-mêmes décidé ainsi. Mais il se trouve que Joseph était aussi l’un des noms de baptême du Souverain Pontife, ce qui ne manqua pas de générerquelques murmures parmi les plus rigoristes.
Après le Concile et les vastes réformes liturgiques introduites par Paul VI,l’innovation était, bien sûr,devenue chose plus aisée. Pour autant, l’année dernière, lorsque le Pape François décida d’inclure la Fête de la Miséricorde Divine dans le calendrier universel de l’Eglise, personnellement, je suis resté assez surpris. En soi, le Saint-Père n’est pas homme à prendre des décisions à la légère ; il y avait donc là matière à réflexion. Cette invitation à célébrer cette eucharistieen ce jour medonne aussi l’opportunité de faire un peu l’expérience de cette miséricorde divine dont nous avons tous besoin.
La miséricorde est l’un des grands thèmes de ce Pontificat. Je crois d’ailleurs qu’il s’agit de l’un des traits les plus marquants de la vie et du Ministère de Jorge Maria Bergoglio. Bien souvent, quand il logeait tout près d’ici, à la Casa Paolo VI, le Cardinal Bergoglio venait prier devant le tableau du Caravage de la vocation de Saint Matthieu, très précieusement gardé dans la chapelle Contarelli de cette magnifique église. Il est bon de noter que le doigt du Christ pointant sur le collecteur d’impôts n’est pas celui d’un juge qui condamne, mais celui du Divin Maître qui lui pardonne et le choisit, « miserando atque eligendo ». Sœur Faustine Kowalska a écrit que Dieu ne refusera sa miséricorde à personne ; et de cela nous ne devons pas douter, pas plus que nous ne devrions cesser nos efforts pour nous pardonner aussi à nous-mêmes le mal que nous avons fait. Pour nous aider en cela, Sœur Faustine s’adresse à Dieu en écrivant : « Je contemple votre bonté incommensurable, O Jésus ». Malheureusement, nous qui croyons, nous connaissons aussi ce risque de nous arrêter en butant sur les limites de notre raison, manquant par-làde saisir la bonté et la beauté de la transcendante réalité divine dansl’existence humaine.
C’est peut-être pour cette raison que dans ses apparitions à Sœur Faustine, il y a quatre-vingt-dix ans, Jésus lui demande : « Peins un tableau selon l’image que tu vois, avec l’inscription : Jésus, j’ai confiance en Toi. Je désire qu’on honore cette image, d’abord dans votre chapelle, puis, dans le monde entier ».
L’image est celle du Christ glorifié mais blessé; elle n’est pas du goût de tout le monde ! Je doute que le Caravage aurait donné son assentiment ! Mais elle est clairement inspirée par l’Evangile d’aujourd’hui, ce qui explique pourquoi Jean-Paul II choisît ce dimanche pour la canonisation de Sœur Faustine, il y a vingt-et-un ans. Par la suite, le Pape François a lui-même souhaité que cette dévotion fasse partie intégrante de la célébration du premier dimanche après Pâques.
En effet, c’est le Christ transpercé qui apparût aux Onze « et leur montra ses mains et son côté ». Mais l’un d’eux manquait alors; Thomas n’est pas là. Son échange plus tard avec ses frères donne l’impression qu’il est contrarié, qu’il n’est pas en paix avec lui-même, à cause de tout ce qui est arrivé à Jésus et de leur trahison du Maître. De fait, Thomas n’avait pas reçu la salutation du Seigneur « la Paix soit avec vous ! ». Huit jours plus tard, Jésus revient ; il revient pour Thomas, uniquement pour lui, et pour nous, car lui aussi doit recevoir la paix miséricordieuse du Christ. Cette fois-ci, enla présence de Thomas, il ne s’agit plus simplement pour le Christ de montrer ses plaies, mais d’instruire : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant ». L’évangéliste Jean développe ensuite à partir des mots de Jésus pour arriver à la conclusion : « et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ».
Le pardon est sans doute le plus grand don du Christ à l’Eglise : « A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ». Mais le pardon n’est pas seulement l’annulation des péchés, c’est aussi la guérison de l’âme à travers l’effusion de la miséricorde divine. Un grand trésor nous a été confié ; dispensons-le généreusement. Comme Thomas a été guéri en touchant les blessures du Christ ; de même aujourd’hui, nous les disciples du Seigneur sommes appelés à tendre la main pour toucher les blessures du monde, pour les faire nôtres dans la proximité et la compassion, et pour les porter sous la lumière du Christ Miséricordieux, afin que toute souffrance reçoive le soulagement, que toute peine soit consolée, que toute misère soit guérie, et qu’ensemble nous soyons sauvés.
A la fin de son homélie pour la canonisation de Sœur Faustine, Jean-Paul II s’est adressé à la nouvelle sainte avec ces mots d’intercession : « Que ton message de lumière et d’espérance se diffuse dans le monde entier, pousse les pécheurs à la conversion, dissipe les rivalités et les haines, incite les hommes et les nations à la pratique de la fraternité. Aujourd’hui, en tournant le regard avec toi vers le visage du Christ ressuscité, nous faisons nôtre ta prière d’abandon confiant et nous disons avec une ferme espérance : « Jésus, j’ai confiance en Toi! »
Ainsi soit-il.
Crédits de la photo en tête d’article: Mgr Paul Richard Gallagher. PIERPAOLO SCAVUZZO/AGF/SIPA